L’islam à Paris : une même foi, deux générations

Le 18 novembre 2025, un sondage de l’IFOP a fait un état des lieux de la pratique de l’islam en France. Parmi ces données, un constat retient l’attention. Les jeunes musulmans se disent plus pratiquants que leurs aînés. Effet de mode ou véritable renouveau de la foi, cette fracture générationnelle se ressent dans les lieux de cultes et les discours.


Il est presque 15 h à la Grande Mosquée de Paris. La prière touche à sa fin. Sous le porche blanc du bâtiment centenaire et à l’abri du grand minaret dominant le lieu de culte, les fidèles renouent leurs lacets. Dans le patio autour de la fontaine, les silhouettes se dispersent lentement : retraités en djellaba, femmes voilées ou découvertes, enfants qui courent, jeunes en jogging et quelques touristes venant observer le lieu. Chacun déambule en silence ou à voix basse, respectant les derniers fidèles encore à genoux dans la salle de prière.

« Les vieux, ils restent sur leurs positions. Alors que nous, on est actifs »

En observant la scène, un double contraste apparaît. D’abord celui des groupes : les femmes entre elles, les hommes entre eux. Mais surtout, celui des générations. Les aînés discutent calmement, presque avec retenue, tandis que les jeunes s’interpellent et se retrouvent, plus énergiques, plus expressifs. Parmi eux, Wissam et Ahmed, deux amis de longue date de 22 et 23 ans, se rejoignent après la prière en remettant leurs baskets. Eux disent reconnaître le constat du sondage IFOP, même s’ils ne l’avaient pas vu passer : « On pratique plus, oui ! Les aînés, ils croient qu’ils savent tout. Ils respectent pas trop les jeunes, ils ont l’impression d’avoir toujours raison. Nous, on est plus nombreux, on vient plus souvent. On crée des associations, on s’entraide. Dans la rue, quand il y a un problème, c’est toujours les jeunes qui viennent. Les vieux, ils restent sur leurs positions. Alors que nous, on est actifs ».

En sortant de la mosquée, devant la librairie Al-Bustane, Samy, 26 ans, arrivé d’Algérie il y a trois ans, fume une cigarette en attendant un ami encore à l’intérieur. Son avis tranche avec celui de ses congénères : « Non, on pratique pas plus que nos aînés, c’est pas vrai. Les aînés, eux, ils respectent plus le Coran et les piliers de l’islam. Ils le font vraiment. Nous, les jeunes, on fait plus d’erreurs. On fait le Ramadan, mais on le rattrape. On n’est pas aussi sérieux. En France, c’est comme ça, mais en Algérie c’est différent, on pratique pareil ».

En quelques minutes, ces deux discours opposés révèlent une faille dans la fracture décrite par l’IFOP. Selon l’étude, les jeunes musulmans se déclarent aujourd’hui plus pratiquants que leurs aînés. Ces pratiques comprennent une prière plus régulière, un Ramadan plus suivi, des normes alimentaires plus strictes, un port du voile qui se démocratise ou encore une fréquentation accrue des lieux de culte. Mais sur le terrain, la réalité apparaît plus nuancée. Tout dépend finalement de ce que l’on entend par “pratiquant”. Est-ce simplement l’obéissance aux rites et aux cinq piliers de l’islam ou existe-t-il une cohérence plus large et plus subtile de ce qu’est la foi ? 

« Les jeunes, ils pratiquent peut-être plus, mais ils pratiquent mal »

En quittant la mosquée, il suffit de dix minutes de marche pour rejoindre l’Institut du Monde Arabe. Le décor change avec cette immense façade de verre qui domine la Seine, les touristes flânant autour et les étudiants de Jussieu skatant sur l’esplanade ou buvant des mauvaises bières dans les nombreux bars du quartier.

C’est là que je rencontre Abdel Akrouf. Il sort de la bibliothèque avec un exemplaire d’Al-Ghazali (théologien musulman de la fin du XIe siècle) sous le bras. Arrivé du Maroc il y a quarante ans, il observe depuis longtemps l’évolution des pratiques religieuses chez les jeunes. Celle-ci ne le réjouit pas : « Les jeunes, ils pratiquent peut-être plus, mais ils pratiquent mal ». Bien que ces mots soient forts, Abdel parle d’une voix douce : « Ils n’ont pas lu les textes, ils n’y connaissent rien. Ils suivent des imams sur TikTok, mais c’est pas ça. Ils jurent sur le Coran toutes les deux minutes, ils font le Ramadan, ils mangent pas de porc. Et le soir, tu les vois en boîte de nuit en train de boire de l’alcool. Et après, tu affirmes que t’es musulman ?» Il hausse légèrement les épaules en apportant une nuance : « Quand on est jeune, on est orgueilleux, on croit tout savoir. Ça changera avec le temps. Et je dis pas que tous sont comme ça. Il y en a des sérieux, heureusement. Des jeunes qui apprennent, qui posent des questions, qui s’intéressent. Mais c’est pas la majorité ».

Entre les jeunes qui revendiquent une foi plus visible et les aînés qui défendent une pratique plus discrète, un écart s’est creusé. Les premiers se disent de plus en plus pratiquants, assidus dans les rites et convaincus d’incarner un renouveau. Les seconds dénoncent un manque de sérieux, une pratique artificielle en décalage avec la profondeur de la religion. Une lecture opposée qui nuance les conclusions du sondage de l’IFOP et révèle surtout la diversité des façons de vivre l’islam dans la capitale.

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