Surtaxes punitives, menaces contre l’Union européenne, paralysie de l’OMC : le second mandat de Donald Trump relance une guerre commerciale aux répercussions planétaires. Plus qu’un affrontement sino-américain, c’est une reconfiguration profonde des règles du commerce international qui s’engage. Derrière le choc tarifaire, une question : qui écrira demain les normes de l’économie mondiale ?
Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump a relancé avec vigueur sa doctrine « America First », désormais assumée comme une stratégie de rupture commerciale globale. Le 10 février, il a instauré une taxe universelle de 10 à 20 % sur toutes les importations, justifiée par des « menaces exceptionnelles » contre la sécurité nationale. Le 28 mai, la Cour du commerce international des États-Unis a pourtant jugé ces mesures illégales, estimant qu’elles excédaient le cadre de l’International Emergency Economic Powers Act. Saisie en appel, une cour fédérale a temporairement suspendu cette décision, créant une insécurité juridique durable pour les entreprises américaines.
Dans la foulée, le président a menacé d’imposer jusqu’à 50 % de droits de douane sur les produits européens, notamment les automobiles allemandes, et 25 % sur les smartphones fabriqués à l’étranger, visant directement des groupes comme Apple ou Samsung. Ces annonces, largement relayées dans la presse européenne, ont été dénoncées par le commissaire européen Maroš Šefčovič comme des « actes hostiles » incompatibles avec les règles de l’OMC.
Sur le plan économique, les effets sont spectaculaires. Les importations américaines en provenance de Chine ont chuté de près de 90 % au premier trimestre 2025, selon les données du CEPR. Le coût pour les entreprises américaines est estimé à plus de 118 milliards de dollars en pertes nettes depuis janvier, notamment dans les secteurs de la tech, de l’agroalimentaire et de la distribution. L’incertitude pesant sur les chaînes d’approvisionnement mondiales pousse de nombreuses PME à geler leurs investissements.
Contournement ou contrepoids : l’ordre commercial mondial en recomposition
Face à cette offensive unilatérale, les grandes puissances économiques réagissent. L’Union européenne a relancé en mai ses négociations commerciales avec l’Inde, espérant conclure un accord de libre-échange d’ici la fin de l’année. De son côté, le Japon a renforcé ses liens avec le Royaume-Uni post-Brexit, tandis que l’Australie explore de nouveaux corridors commerciaux avec l’Asie du Sud-Est.
L’Asie, justement, s’affirme comme le principal laboratoire d’un commerce post-américain. Le RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership), regroupant 15 pays d’Asie-Pacifique, s’active à harmoniser ses règles tarifaires internes et à réduire sa dépendance au dollar dans ses échanges intra-zone. La Chine, en parallèle, accélère ses efforts de « découplage stratégique » vis-à-vis des États-Unis, soutenant sa production nationale de semi-conducteurs, tout en consolidant ses exportations vers l’Afrique et l’Amérique latine.
Cette dynamique ouvre la voie à une régionalisation accélérée du commerce mondial. Ce n’est plus seulement l’ordre multilatéral issu de Bretton Woods qui vacille : c’est l’idée même d’un marché mondial unique, régi par un droit commun. À la place, se dessinent des blocs géoéconomiques concurrents, chacun aligné sur ses propres normes, monnaies et priorités diplomatiques.
Dans ce contexte, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) peine à jouer son rôle d’arbitre. Son mécanisme de règlement des différends reste paralysé, et les grands sommets économiques, comme le G20 de Tokyo prévu en juillet, risquent de tourner à l’affrontement entre visions irréconciliables.
Conclusion :Le retour du trumpisme économique ne se contente pas de déstabiliser la relation sino-américaine. Il agit comme un révélateur – et un accélérateur – d’une mutation plus large : celle de la fin de la mondialisation telle que nous la connaissions. Si les alliances régionales se multiplient, elles peinent encore à dessiner une alternative claire et cohérente à un système multilatéral en crise. À l’heure où les tensions commerciales deviennent des leviers de puissance, une question demeure : qui, demain, écrira les règles du commerce mondial ?