Hind Kabawat, avocate et militante pour la paix, a été nommée ministre des Affaires sociales et du Travail le 29 mars 2025, devenant ainsi la seule femme et la seule chrétienne du gouvernement de transition syrien. Cette nomination, inédite dans un paysage politique dominé par les hommes et l’islam, marque un tournant symbolique dans la recomposition du pouvoir post-Assad. À travers le portrait de cette figure engagée du dialogue interreligieux et des négociations de paix, cet article retrace le parcours singulier d’une femme qui incarne à la fois l’espoir d’une Syrie pluraliste et les défis d’une gouvernance encore en devenir.
Un parcours académique et professionnel distingué
Née en Syrie, Hind Kabawat a obtenu une licence en économie à l’Université de Damas, puis un diplôme en droit de l’Université arabe de Beyrouth. Elle a ensuite poursuivi un master en droit et diplomatie à la Fletcher School (Tufts University), complété par des certifications en négociation à Harvard et en leadership à Toronto.
Elle a exercé comme avocate internationale dans des cabinets à Toronto entre 1989 et 2014. Parallèlement, elle a occupé des fonctions de conseillère principale à l’Institut des États-Unis pour la paix et siégé en tant que membre consultatif de la Banque mondiale. Son profil combine expertise juridique, sensibilité diplomatique et engagement pour les droits humains.
Depuis 2004, Kabawat dirige les programmes syriens du Center for World Religions, Diplomacy, and Conflict Resolution (CRDC) à l’Université George Mason. Elle y a formé des centaines de Syriens à la médiation, au dialogue interconfessionnel et à la résolution pacifique des conflits. Elle est également fondatrice et directrice du Centre syrien pour le dialogue, la paix et la réconciliation à Toronto.
Son action a été saluée par plusieurs distinctions internationales, dont le prix « Peacemakers in Action » remis en 2007 par le Tanenbaum Center for Interreligious Understanding, et le Public Diplomacy Award de l’Université George Mason en 2009.
Hind Kabawat a participé aux huit cycles des négociations de Genève en 2017, en tant que membre de la Haute Commission des Négociations (HCN), où elle a porté la voix d’une opposition modérée et inclusive. Elle a aussi été directrice adjointe du bureau de la Commission syrienne des négociations à Genève.
En février 2025, dans le contexte de transition post-Assad, elle rejoint le Comité préparatoire de la Conférence nationale de dialogue syrien. Le 29 mars, elle est nommée ministre des Affaires sociales et du Travail par le président Ahmed al-Charaa. Cette nomination, bien que symbolique, devra être suivie d’effets concrets dans un paysage politique encore instable.
Défis et perspectives
Kabawat hérite d’un portefeuille ministériel stratégique dans une Syrie dévastée par douze années de guerre. Ses priorités : réinsertion des déplacés, relance de l’emploi, développement des services sociaux, protection des populations vulnérables. Son expérience de terrain et ses compétences en diplomatie peuvent lui permettre de peser dans les arbitrages politiques à venir.
Symbole de résilience et de dialogue, Hind Kabawat incarne l’aspiration à une Syrie réconciliée. Mais elle entre en fonction dans un contexte particulièrement fragmenté. Le pays reste divisé entre zones d’influence multiples (régime, oppositions, Kurdes, puissances étrangères), avec un tissu social profondément meurtri et une économie à reconstruire presque intégralement. Le chômage atteint des sommets, l’inflation asphyxie les ménages, et la corruption reste endémique.
Dans ce paysage morcelé, la tâche de Kabawat ne se limite pas à la gestion sociale : elle devra aussi impulser une vision inclusive dans un gouvernement où les logiques d’appartenance confessionnelle et politique continuent de prédominer. Sa capacité à fédérer autour de projets transversaux, à restaurer la confiance dans les institutions publiques, et à attirer l’appui d’ONG et bailleurs internationaux sera déterminante.
À plus long terme, son action pourrait servir de catalyseur pour une redéfinition du rôle des femmes et des minorités dans la vie politique syrienne. Mais tout dépendra de l’évolution de la transition elle-même : si elle demeure purement formelle, ou si elle ouvre la voie à une refondation durable du contrat social syrien. Dans ce combat incertain, Kabawat incarne à la fois une exception… et une promesse.